2007年7月22日日曜日

ゴダール&ミエヴィル『古い場所』 シナリオ採録

・現段階ではテキストから抜粋したのみで、画面上の文字や邦訳は未対応。完成次第、記事を再投稿あるいは再編集する予定。
・1/3、2/3、3/3の時間進行をそれぞれ対応させると表記・作業ともに煩雑になるので放棄。通しの時間軸で表記したものを使用した。ただし、目立たないが「--」でその切断部を表示する。 
・仏語採録、英訳採録のテキストは『古い場所』を含む四作を収録したJean-Luc Godard, Anne-Marie Miéville, Four Short Films(ECM CINEMA, 2006, DVD)のものを使用した。末尾表記によると英訳者はJohn Tittensorである。

『古い場所』
The Old Place
当ブログの解説文記事

(voice of Godard)
Page 5, le protocole déclare :
On page 5, the agreement says:


(voice of Miéville)
Les producteurs devront examiner n'importe quel objet ou sujet, ordinaire ou extraordinaire, dans n'importe quel domaine que ce soit, et au hasard de leur actions ou réflexions, d'y rélever avec le plus grand soin la trace encore existante ou pas de ce à quoi nous sommes convenus de donner le nom d'art.
The producers must examine any object or subject, ordinary or extraordinary, in any field, according to their actions or ideas, making sure to identify any existing trace of what we have agreed to call art...


(voice of Godard)
Pour savoir enfin si l'art est une légende ou une réalité.
... to finally discover if art is a legend or a reality.


(voice of Miéville)
«Un jour», disait Van Gogh,«nous prendrons la mort pour nous en aller dans une autre étoile.»
"One day",Van Gogh said,"we will seize death in order to go to another star."


(voice of Godard)
On a bienfait, je crois, de prendre le bateau pour révenir de New York. En avion, on ne voit jamais le ciel e n entire.
I think we were right in taking the boat to return from New York. In a plane, you never see the whole sky.


1 THE HOLY WEEK

(voice of Godard)
Quand on lui a parlé de victimes, Boltanski a repondu, écoute ça: «What is beautiful about working with used clothes is that these really have come from somebody. Someone has actually chosen them, loved them, but the life in them is now dead. And then, exhibiting them in a show is like giving the clothes a new life. It is like a kind of resurrection.»
When they spoke to him about victims, Boltanski said... Listen to this: "What is beautiful about working with used clothes is that these really have come from somebody. Someone has actually chosen them, loved them, but the life in them is now dead. And then, exhibiting them in a show is like giving the clothes a new life. It's like a kind of resurrection."


(voice of Miéville)
Dans l'église, tu as un sentiment, c'est vrai, mais c'est l'église qui crée. Après tu empiles des vêtements, au mieux, c'est agnès b. ou les Galeries Lafayette. Appeler ça: «Réserve du Musée des Enfants», ce n'est pas seulement un abus de langage, mais une sorte d'atrocité, un crime artistique, exécuté par l'homme public qui pense qu'il vaut mieux pour lui d'etre en accord avec tout le monde que d'être en désaccord avec lui-même.

Car comment appeler ça, alors? Peut-être ne jamais l'appeler puisqu'elle n'a plus la force d'appeler au secours. Et ça reste un document, et faute de mieux, on lui donnera le prix Pulitzer.
In church, it's true, you get a certain feeling, but it's the church that creates it. Afterwards you just pile up clothes, at best, they're from agnès b. or Galeries Lafayette. To call that the "Children's Museum Reserve" is not only an abuse of language, it's also a kind of atrocity, an artistic crime, committed by a public figure who believes it's better to be in agreement with all the world than in disagreement with himself.
What should it be called, then? Don't call it anything, perhaps,since she doesn't have the strength to call for help anymore. So it remains a document, and receives the Pulitzer Prize.


(voice of Godard)
En tous les cas, on a payé à l'agence Sygma 2856 francs plus 5.5o de TVA pour avoir le droit d'exposer cette photo.
In any case, we paid the Sygma Agency 2,856 francs, plus 5.50 in taxes for the right to show this photo.


(voice of Miéville)
Non, le devoir.
No, for the duty.


(voice of Godard)
Oui, mais à la morgue de Blida, après les massacres de Sidi Sehrane, personne n'osera parler d'art.
Yes, but at the morgue in Blida, after the Sidi Sehrane massacres, no one dared speak of art.


2 PAROLE DES AUTRES
OTHER PEOPLE'S WORDS


(voice of Miéville)
Pourtant on dit «l'art de la guerre».
Even so, one speaks of "the art of war".


(voice of Godard)
C'est une autre histoire.
Il y avait cette exposition, souviens-toi, avec des photos de la guerre en Yougoslavie, et il y a des journaux qui reprochent au photographe de faire de l'art, comme on dit, avec des images d'horreur. Il faut être prudent là-dessus. Un homme, William Haglund, pendant des mois et des mois, a sorti de la terre mille et un cadavres, parce que le tribunal de la Haye l'exigeait, et les photos attestent d'abord de la réalité de crimes contre l'humanité. Maintenant, s'il y a malentendu, c'est que le photographe n'aurait sans doute pas dû agrandir ces photos, ni les exposer comme de la peinture, sur de grandes toiles.
That's different.
There was that exhibition, you remember, with photos of the war in Yugoslavia. The newspapers accused the photographer of making art, as they say, with images of horror. One must tread carefully there. A man named William Haglund dug up countless bodies, for months on end, because the court in The Hague demanded it. Those photos testify to the reality of crimes against humanity. Now, if there's a misunderstanding, it's because the photographer shouldn't have enlarged those photos, nor shown them on big canvases as if they were paintings.


(voice of Miéville)
Alors, où sera la différence entre le désastre de la politique française en Afrique, et le Goya des désastres ? De Botticelli à Barnett, c'est le même regard, le même silence, «car je parle toujours dans le langage de l'autre... Lorsque je me parle à moi-même, je parle la parole d'un autre que je me parle à moi-même.»
What then is the différence between the horrors of French policy in Africa and the Goya of the "Horrors of War"? From Botticelli to Barnett, it's the same view, the saure silence, "for I always speak the language of the other... When I talk to myself, I talk to myself, using the words of the other."


3 L'ARMÉE DES OMBRES
THE ARMY OF THE SHADOWS


(voice of Miéville)
C'est le moment de savoir où nous en sommes. Mais c'est difficile, on navigue un peu en aveugles.
Now's the time to know where we're at. But that's hard, a bit like flying blind.


(voice of Godard)
C'est vrai : légende, réalité, art, cinéma, an 2000 ... Les gens de New York n'ont pas vraiment demandé quelque chose. Ils voudraient être fixés, comme on dit, mais sans savoir à propos de quoi.
It's true: legend, reality, art, cinema, the year 2000 ... the MoMA people haven't really asked for anything specific. They'd like te, make up their minds, without knowing what about.


(voice of Miéville)
Il y a une chose sur laquelle je me suis souvent interrogée, mais que je n'ai jamais demandée. Puis-je poser la question maintenant ?
There's something Ive often wondered about, but never asked. May I ask the question now?


(voice of Godard)
Absolument.
Of course!


(voice of Miéville)
Pourquoi est-ce que tu n'es jamais allé dans les étoiles ?
Why have you never been to the stars?


(voice of Godard)
Je me dis que je suis resté parce que je ne pouvais pas partir, mais je ne le pense pas vraiment.
I tell myself Ive stayed here because I couldn't get away, but I don't really think that.


(voice of Miéville)
Pourtant, le pouvoir de partir fait partie de notre nature. Pourquoi alors ne pas l'avoir fait? L'idée que l'Homme était libre dans l'univers, qu'il peut aller partout où il le désire, c'était un miracle absolument incompréhensible. Et qu'il parvienne à ce résultat tout seul, par le corps et l'esprit, par un pouvoir intérieur que les autres n'ont pas, est absolument incroyable.
But being able te, get away is part of out nature. So why didn't you do it? The idea that man was free in the universe, that he could go anywhere he wanted, was a completely unfathomable miracle. And the fact that he has reached this point alone, with his body and mind, and an inner power others don't have, is absolutely unbelievable.


(voice of Godard)
Alors, dans ce cas, la légende, c'est nous. Nous sommes peut-être les fantômes des gens qui ont été emportés quand tout
le monde a disparu.
So in that case the legend is us. Maybe we're the ghosts of people taken away when everybody vanished.


(voice of Miéville)
Tu sais, j'ai de nouveau l'impression d'entendre les bruits et les murmures de tous ces fantômes blottis au milieu de leurs
oeuvres, dans le dernier refuge qui leur restait sur terre.
You know, I have this impression again of hearing the noises and murmuring of ghosts nestled in the midst of their
works, in the last hiding place left to them on earth.


(voice of Godard)
Oui, notre monde d'autrefois s'est écroulé autour de nous, et il n'en reste plus grande chose. On s'est d'abord cru perdus. Mais je crois qu'avec le temps, nous en sommes venus à nous rendre compte que cette perte n'est pas entièrement mauvaise. Peut-être pas mauvaise du tout. Et finalement, au lieu de perdre, nous avons gagné l'occasion de prendre un nouveau départ.
Yes, our world bas collapsed, and there's not a lot of it left. First we thought we'd lost everything, but with time we've realized that this loss wasn't all bad. Maybe not bad at all. And finally, instead of losing, we've gained the chance to make a new start.


(voice of Miéville)
Alors, théâtre, roman, peinture, films, il me semble que la question n'est pas de savoir si l'homme continuera, mais de savoir s'il en aura le droit.
Theatre, novel, painting, films ... it seems that the question is not knowing if man will continue, but knowing if he bas the right to.


(voice of Godard)
Alors, continuons les exercices.
Let's get on with the exercices, then.


4 DÉCEPTION ET MAGIE
DECEPTION AND MAGIC


(voice of Miéville)
Il y a un moment où la lumière commence à s'en prendre aux choses, à leur faire balbutier leurs formes, et puis leurs noms
successifs, à partir de celui-ci même de «chose» qui est le commencement. Il y a d'abord « quelque chose », et puis, « des choses ». Et c'est exactement comme dans le Livre des Livres. Il y a une petite enfance de la figure du monde, d'un jour, pour un lieu donné.
There's a moment when the light begins to strike things, making them st(voice of Miéville)er out their shapes and then their successive names, starting out with the vert' "thing" that is the beginning. First there's "something", and then "some things". Exactly like in the Book of Books. There's an infancy of the features of the world, of a day, of any given place.


5 PHOTOS DE L'UTOPIE
PHOTOS OF UTOPIA


(voice of Godard)
Ils sont devenus plus seuls que jamais. En fait, ils ont disparu. Ils ont quitté le paysage, ou du moins, la conscience que l'on a d'un paysage familier. Parfois, dans certains lieux, ils organisent encore une petite manif. Mais c'est pour la gloire. Et l'année d'après, ils retombent dans le fossé, ou s'agrippent encore sur le talus, au bord des chemins, de l'autoroute, du périphérique, toujours au bord. On dirait des réfugiés.
They are more alone than ever. In fact they've disappeared. They've left the landscape, or at least our idea of a familiar landscape. In some places, they still organize a small demonstration, but only for love. And the next year, they fall into a ditch, or cling to an embankment on the edge of the road, the highway or the freeway. Always on the fringes. As if they were refugees.


(phrase of song)
Cen qu’elle en a bud u beau sang cette terre,
Sang d’ourvier et sang de paysan,
Car les bandits, ceux qui causent le guerres,
N’en meurent jamais, on ne tue que les innocents.
La butte rouge, c’est son nom, le baptême se fit un matin
Où tous ceux qui motaient roulaient dans le travin,
Qui boria ce vin-là, boria le sang des copains.
So much fine blood this earth has drunk,
Workers’ and farmers’ blood,
Because the crook who start the wars
Never die. Only the innocents get killed.
“Red hill”, it’s called, baptized with blood one morning,
All those who went up there ended up down in the ravine.
Now there are rines, and grapes are growing there.
Whoever drinks that wine, drinks the blood of his friends.


(voice of Miéville)
Un peu les derniers artistes, sans doute.
You could call them the last artists.


6 UN CAPTIF AMOUREUX
A PRISONER OF LOVE


7 HORS DU TEMPS
OUTSIDE TIME


(voice of Godard)
Peut-on raconter le temps ? Le temps en lui-même, comme tel et en soi ... Non, en vérité, ce serait une folle entreprise.
Can time be recounted? Time as it is, as such and in itself? No, that would really be a hare-brained undertaking.


(voice of Miéville)
L'art n'était pas à l'abri du temps. Il était l'abri du temps.
Art wasn't protected from time. It was what protected time.


8 MURMURE ET SOLITUDE
MURMURS AND LONELINESS


(voice of Godard)
On a oublié qui, mais quelqu'un disait que celui qui chante n'est pas toujours heureux.
Someone forgotten who, but somebody once said that he who sings is not always happy.


9 UN AMOUR AVEUGLE
BLIND LOVE


(voice of Godard)
Nous travaillons dans la nuit, nous faisons ce que nous pouvons, nous donnons ce que nous avons. Notre doute est notre passion, et notre passion est notre tâche. Le reste est la folie de l'art.
We work in the dark, we do what we can, we give what we have. Our doubt is our passion and out passion is our task. The test is the madness of art.


(voice of Miéville)
Ça me fait penser à mon vieux prof de philo, MonsieurBrunschwig : «L'un est dans l'autre et l'autre est dans l'un, et ce sont les trois personnes.»
L'esprit emprunte à la matière les perceptions d'où il tire sa nourriture, et les lui rend sous forme de mouvement, où il a imprimé sa liberté.
That makes me think of my old philosophy teacher, Mr. Brunschwig:"One is in the other and the other is in the one, and those are the three persons."
The spirit borrows from matter the perceptions it draws its nourishment from, and gives them back as movement stamped with its freedom.


(voice of Godard)
L'esprit emprunte à la matière... et les lui rend sous forme de mouvement, où il a imprimé sa liberté.
Avec les cheveux roux d'une gamine des rues, je mettrai le feu à toute la civilisation moderne.
The spirit borrows from matter... and gives them back as movement stamped with its freedom.
With the red hait of a little street girl I'd torch all of modern civilization.


10 ONE-DOLLAR MOVIE

(voice of Miéville)
Puisqu'une fille doit avoir les cheveux longs, elle doit les avoir propres ; puisqu'elle doit avoir les cheveux propres, elle ne doit pas avoir une maison mal tenue ; puisqu'elle ne doit pas avoir une maison mal tenue, elle doit avoir une mère libre et détendue.
Since a girl has to have long hait, she bas to have clean hait; since she bas to have clean hait, she mustn't have a messy bouse; since she mustn't have a messy bouse, she must have a mother who is free and relaxed.


(voice of Godard)
Puisqu'elle doit avoir une mère libre et détendue, elle ne doit pas avoir un propriétaire usurier ; puisqu'elle ne doit pas avoir un propriétaire usurier, il doit y avoir une redistribution de la propriété ; puisqu'il doit y avoir une redistribution de la propriété, il doit y avoir une révolution.
Since she must have a mother who is free and relaxed, she mustn't have a profiteer landlord; since she mustn't have a profiteer landlord, there has to be redistribution of property; since there has to be redistribution of property, there has to be a revolution.


(voice of Miéville)
Cette gamine aux cheveux d'or roux est l'image sacrée de l'humanité.
The girl with the red-gold hait is the sacred image of humanity.


(voice of Godard)
Alors, le projet KEO, l'oiseau archéologique du futur.
The KEO project, the archeological bird of the future.


11 LES ILLUSIONS PERDUES
LOST ILLUSIONS


(voice of Miéville)
Un microsatellite en forme d'oiseau qui, lancé en 2oot, reviendra sur terre dans So ooo ans pour informer nos lointains descendants de ce qu'était la terre et ses habitants aujourd'hui.
A microsatellite shaped like a bird. Launched in aooi, it will return to Earth in 50,ooo years to tell our distant descendents what Earth and its inhabitants were like today.


(voice of Godard)
Outre les enseignements classiques - géographie, biologie, histoire, etc. ―l'oiseau délivrera aussi des messages qu'auront rédigés des habitants du globe à l'adresse de leur futur.
In addition to standard subjects like geography, biology, history, etc., the bird will also deliver messages sent by the inhabitants of the earth into their future.


(voice of Miéville)
Quel genre de message?
What kind of message?


(voice of Godard)
Je ne sais pas, «aimez-vous les uns les autres» ?
I don't know... "Love one another"?


(voice of Miéville)
Ça m'étonnerait... Ou alors : éliminer la discrimination pratiquée à l'égard des femmes.
I'd be surprised. Perhaps: "Stop discrimination against women."


(voice of Godard)
Ça m'étonnerait aussi... Ou projeter un film de Griffith une fois par an.
That would surprise me too. Or: "Show a Griffith film once a year."


(voice of Miéville)
J'ai des doutes.
I have my doubts.


12 LE VIEUX MONDE
THE OLD WORLD


(voice of Miéville)
C'est le futur qui décide si le passé est vivant ou non. Un homme qui a pour projet de progresser définit son ancien moi comme le moi qui n'est plus et s'en désintéresse. Au contraire, le projet de certains implique le refus du temps et une étroite solidarité avec le passé. La plupart se trouvent dans ce cas ; ils refusent le temps parce qu'ils ne veulent pas déchoir.
It's the future that decides if the past is alive or net. A man with plans for progress defines his old self as the self that no longer exists and loses interest in it. On the other hand, some people's plan involves the rejection of time and an identification with the past. This is the case for most people. They reject time because they don't want to coure down in the world.


13 DESTIN DES CHOSES
DESTINY OF THINGS


(voice of Miéville)
Que de choses tu n'as même pas vues, dans cette rue où tu passes six fois le jour, dans ta chambre où tu vis tant d'heures par jour: Regarde l'angle que fait cette arête de meuble avec le plan de la vitre. Il faut le reprendre au quelconque, au visible non vu ― le sauver ― lui donner ce que tu donnes par imitation, par insuffisance de ta sensibilité, au moindre paysage sublime, coucher de soleil, tempête marine, ou à quelque oeuvre de musée. Ce sont là des regards tours faits. Mais donne à ce pauvre, à ce coin, à cette heure et chose insipides ― et tu seras récompensé au centuple.
So many things you haven't even seen, like in this street you walk down six times a day, or in your room where you spend so many hours a day. Look at the angle, the edge of that furniture makes with the windowpane. You have to reclaim it from banality, from the unseen visible. You have to save it, give it what you can, through imitation and the shortfalls of your sensibility, to any sublime landscape, sunset, storm at sea, or any artwork in a museum. Those are readymade views. But give to this poor person, to this place, to this insipid moment and thing, and yen will be rewarded a hundredfold.


14 ENFANCE DE L'ART
INFANCY OF ART


(voice of Godard)
Qui donc es-tu?
Je suis la personne qui parle
Celle qu’on nomme Je
Et qui
De corps en corps
De visage en visage
Et meme
En tout vie, forme,
A le moment pour acte
Et ne sait faire
Qu’être
So who are you?
I’m the person who speaks
The one named I
And who,
From body to body
From face to face
Indeed
In all of life itself, in all form,
Has the moment to act
And can’t do anything
But be


(voice of Miéville)
On n'a pas fait grande chose encore.
We haven't done much yet.


(voice of Godard)
On a visité quelques étoiles.
Cette image que tu es, que je suis, Benjamin en parle, où le passé entre en résonance le temps d'un éclair avec le présent, pour former une constellation.
We've visited a few stars.
This image that you are, that I am, which Walter Benjamin speaks of, of that point where the past resonates with the present for a split second to form a constellation.


(voice of Miéville)
L'oeuvre d'art, dit-il, est l'apparition unique d'un lointain, aussi proche soit-il. Mais je ne suis pas sûre de comprendre : proche égal de lointain...
"The work of art", he says, "is the sole apparition of some-thing distant, however close it may be." But I'm not sure I understand: close and distant at the came time.


(voice of Godard)
On dit souvent: à l'origine, il y avait... L'origine, c'est à la fois ce qui se découvre comme absolument nouveau et ce qui se reconnaît comme ayant existé de tout temps. L'ensemble des idées, d'après Benjamin, constitue un paysage premier, toujours présent.
People often say: "in the beginning was..." The origin is both what is discovered as absolutely new and what recognizes itself as having existed forever. The sum of all ideas, according to Benjamin, makes up a primal, ever-present landscape.


(voice of Miéville)
Même lorsque les hommes l'ont oublié, et auquel il s'agit de revenir.
Even when people have forgotten it, and it's a question of returning.


(voice of Godard)
Il y a les étoiles, qui sont aux constellations ce que les choses sont aux idées. On aurait pu dire «leçon de choses» au lieu d'« exercices ».
There are the stars, which are to the constellations what things are to ideas. Instead of "exercises", we could've said "an object lesson".


(voice of Miéville)
Exercices de pensée artistique, on a dit.
"Exercices in artistic thinking", was what we said.


(voice of Godard)
L'idée, c'est leur rapprochement... De même que les étoiles se rapprochent, même en s'éloignant les unes des autres, tenues par des lois physiques, par exemple, pour former une constellation, de même, certaines choses, pensées, se rapprochent pour former une ou des images.
The concept is that of approach... Just as stars simultaneously approach and move away from each other, driven by the laws of physics as they form a constellation, so too do certain things and thoughts approach each other to form one or two images.


(voice of Miéville)
Alors, pour comprendre ce qui se passe entre les étoiles, entre les images, il faut examiner en premier des rapprochements simples.
So to understand what goes on between stars and between images, you must start by looking at the simple links.


(voice of Godard)
Tout est donc loin, mais en même temps, tout est donc proche. Et sans doute qu'entre l'infiniment petit et l'infiniment grand, on finira par trouver une moyenne. L'homme moyen, sans doute. Ce qui a déjà été sera et ce qui sera a déjà été.
19 personnes assistaient à la Crucifixion, 1400 à la première représentation de «Hamlet» et deux milliards et demi à la finale de la Coupe du Monde.
C'est qu'une image n'est pas seulement un atome. Elle en est, elle a été, elle en sera l'image, et l'image de l'image. Et l'image de tous ses possibles.
Travailler artistiquement ne consiste pas seulement à observer, accumuler des données expérimentales, et puis en tirer une théorie, tableau, roman, film, etc.
So everything's far away, and close at the same time. Between the infinitely small and the infinitely large we'll eventually find an average. And the average will be the average person, no doubt. What already has been will be, and what will be has already been.
19 people attended the Crucifixion, 1,400 the first performance of "Hamlet" and two and a half billion attended the World Cup final.
An image isn't only an atom. It is, has been, will be its own image, the image of the image, the image of all these possibilities.
Working as an artist isn't just a matter of observing, of collecting experimental data, then coming up with a theory, a picture, a novel, a film, etc.


(voice of Miéville)
La pensée artistique commence par l'invention d'un monde possible, d'un fragment d'un monde possible, pour le confronter par l'expérience, par le travail, peindre, écrire, filmer, avec le monde extérieur. Ce dialogue sans fin entre l'imagination et le travail permet que se forme une représentation toujours plus aiguë de ce qu'il est convenu d'appeler la réalité.
Nous sommes tous perdus dans l'immensité de l'univers. Nous avons perdu notre pays natal, nous n'avons aucun lieu où aller, ou, pis encore, trop d'endroits où nous rendre.
Artistic thinking begins with the invention of a possible world, or a fragment of a possible world, then using experience and work, painting, writing, filming, to confront it with the outside world. This endless dialogue between imagination and work allows for the formation of an ever-clearer representation of what we agree to call reality.
We're all lost in the immensity of the universe. We've lost our native country, we have no place to go, or worse yet, zoo many places that we could go.


(voice of Godard)
Nous sommes perdus non seulement dans les profondeurs de l'univers, mais dans celle de notre propre esprit.
We're lost, not only in the depths of the universe, but also in the depth of our own minds.


(voice of Miéville)
Quand les hommes vivaient sur une seule planète, ils savaient où ils étaient. Ils avaient un mètre pour mesurer, ils avaient leur index pour connaître la direction du vent. Mais à présent, même quand nous pensons savoir où nous sommes, nous sommes perdus: ou il n'est pas de sentier pour revenir chez nous, ou, dans bien de cas, nous n'avons pas de patrie qu'il vaille la peine de regagner. Nous n'avons plus de foyer. L'espèce humaine a éclaté, s'est dispersée, se disperse encore parmi les étoiles. Notre espèce, dans son ensemble, ne supporte pas le passé, beaucoup d'entre nous détestent également le présent, et nous n'avons qu'une seule direction, l'avenir, qui nous éloigne de plus en plus du concept de patrie, de foyer.
When people only lived on one planez, they knew where they were. They had a yardstick, they had their index finger to check the direction of the wind. But now we're lost, even when we think that we know where we are. Either there's no path leading back home, or we don't have a homeland worth going back to. We don't have a home anymore. Humankind has broken up, scattered, and is still scattering out among the stars. Our species, as a whole, cannot bear the past. Many of us also hate the present, and we only have one direction: the future, which takes us further away from the concept of a homeland of out own.


(voice of Godard)
Notre espèce est faite dans son ensemble de vagabonds incurables, nous refusons tout ce qui nous lie, tout ce à quoi nous pourrions nous raccrocher. Et cela jusqu'au jour inéluctable, j'en suis sûr, pour chacun de nous, où nous comprendrons que nous ne sommes pas libres, comme nous le pensons, mais perdus. C'est seulement quand nous tentons de nous rappeler, avec notre mémoire ancestrale, où nous sommes allés, et pourquoi, quenous comprenons pleinement à quel point nous sommes perdus. Est-ce qu'on n'a pas oublié de parler du tournant décisif de la peinture?
As a whole, our species is made up of incurable wanderers. We reject all ties, everything we could cling to. And Chat will certainly continue until the ineluctable day, I'm sure, when we each begin to understand that we're not free, as we thought, but lost. Only when we try to remember, with our ancestral memory, where we went, and why, will we fully understand how lost we are.(VOICE OF GODARD) Havent we forgotten to talk about the decisive tutu in painting?


(voice of Miéville)
Après, là on est dans les technologies du futur. Mais nous, en quittant la Terre, en rejetant, en méprisant la planète natale pour aller vers des lointaines étoiles plus brillantes, nous avons agrandi énormément notre milieu, et nous n'avons pas ces quelques millions d'années. Dans notre hâte, nous n'avons plus le temps ...
Later, now we're dealing with the technology of the future. But when we left the earth, rejecting and scorning our native planez to go off to distant, brighter stars, we expanded our space enormously, and we don't have those few million years: in our haste, we don't have time anymore...


(voice of Godard)
Quand Jean-François Millet peint deux paysans qui prient dans un champ et qu'il appelle ça l'« Angelus », la légende correspond au réel.
When Jean-François Millet paints two peasants praying in a field, and calls it "The Angelus , the title matches the reality.


(voice of Miéville)
Quand Francis Picabia dessine un boulon et l'intitule «Portrait d'une jeune fille américaine dans l'état de nudité», la légende ne correspond plus au réel.
When Francis Picabia draws a boit and calls it "Portrait of an American girl in the Nude", the title no longer matches the reality.


(voice of Godard)
« Ça m'est égal», dira Picabia, après Duchamp et avant Warhol, et pareillement le patron de la brasserie de la gare en présentant la carte de desserts.
Le tournant décisif de la peinture était là. Le deuxième. Le premier, c'est quand les peintres ont décidé de peindre l'éternel féminin ; on dira que ça s'est fait presque au début, mais pas contre la Vierge. Alors, des légendes sacrées, on a passé à l'histoire naturelle, et j'ai comme le sentiment que les légendes se sont vengées. L'image, aujourd'hui, n'est pas ce que l'on voit mais ce qu'en dit la légende. C'est la publicité moderne.
«Tristes tropiques», écrit Lévy-Strauss, et c'est ce qu'ont pensé les ours de tout à l'heure et l'homme qui marche, et Paul Gauguin. J'ai lu quelque part que Chardin disait, de l'art, qu'il ne savait pas ce que c'était. Ou alors une île dont il avait entrevu les rivages de loin. Alors qu'Andy Warhol déclare que l'art est un marché pour acheter et vendre. Et alors le vrai combat commence, celui de l'argent et du sang. Du point de vue de l'histoire de l'art, quand Malevitch installe un carré noir sur la toile blanche, je ne crois pas que c'est la guerre de 14 qui impose le deuil. Empoisonnée par la photographie, c'est la peinture elle-même qui se suicide, et Soulages lui rendra les derniers honneurs après la guerre de 40. Oui, du point de vue de l'histoire de 1'art, le 20 e siècle, c'est la guerre de Cent Ans. Il faudra tout ce temps pour que le catalogue de La Rédoute et le catalogue de Christie appartiennent au même monsieur. Et alors les espaces publicitaires occupent les espaces de l'Espoir et de la madeleine de Proust.
"All the same tome", says Picabia, after Duchamp and before Warhol, just like the owner of the station café as he hands you the dessert menu.
That was the decisive turn in painting. The second one. The first was when painters decided to paint eternal woman. That happened almost from the start, but it did no harm to the Virgin Mary. So from sacred legends we moved te, natural history. I get the feeling the titles have taken their revenge. Today you don't see the image, you see what the title says about it. It's modern advertising.
"Sad tropics", writes Lévi-Strauss. That's what those bears thought just now, and the walking man, and Paul Gauguin. I read somewhere that Chardin once said of art that he didn't know what it was. Or that it was an island whose shores he had glimpsed from far off. And Andy Warhol says that art is a market for buying and selling. And then the real battle begins, the battle of money and blood. From an art history point of view, if Malevich can put a black square on a white canas, I don't think World War I is such a disaster. Poisoned by photography, painting itself committed suicide, and Soulages laid it in its grave after World War II. From an art history point of view, the zo th century is the Hundred Years War. It took a while for one man to own the La Redoute catalogue and Christie's catalogue. And then advertising space takes over the spaces of Hope and of Proust's madeleine.


(voice of Miéville)
Et la dernière Citroën s'appellera «Picasso».
Cependant, j'ai le sentiment que quelque chose résiste, quelque chose d'original, que l'origine sera toujours là, et qu'elle résiste. Pour contempler le paysage le plus merveilleux du monde, il faut arriver au dernier étage de la Tour de la Victoire, à Chitor. Il y a là une terrasse circulaire qui permet de dominer tout l'horizon. Un escalier en colimaçon mène à la terrasse, mais seuls osent monter ceux qui ne croient pas à la fable.
Dans l'escalier de la Tour de la Victoire, habite depuis le début du temps l'A Bao A Qou, sensible aux valeurs des âmes humaines. Il vit en état léthargique sur la première marche, et jouit d'une vie con-sciente seulement quand quelqu'un monte l'escalier. La vibration de la personne qui s'approche lui infuse vie, et une lumière intérieure s'insinue en lui. En même temps, son corps et sa peau presque translucide commencent à se mouvoir.
Quand quelqu'un monte l'escalier, l'A Bao A Qou se place presquesous les talons du visiteur et monte, en saisissant le bord des marches courbes et usées par les pieds des générations de pèlerins. A chaque marche sa couleur s'intensifie, sa forme se perfectionne et la lumière qu'il irradie est chaque fois plus brillante. La preuve de sa sensibilité réside dans le fait qu'il arrive à obtenir sa forme parfaite seulement à la dernière marche, quand celui qui monte est un être spirituellement évolué. Autrement, l'A Bao A Qou reste comme paralysé avant d'y arriver, son corps incomplet, sa couleur indéfinie et sa lumière vacillante. L'A Bao A Qou souffre quand il ne peut pas se former entièrement et sa plainte est une rumeur à peine perceptible, semblable au frôlement de la soie.
Mais quand l'homme ou la femme qui le font revivre sont pleins de pureté, l'A Bao A Qou peut arriver à la dernière marche, complètement formé et scintiller d'une vive lumière bleue. Son retour à la vie est très bref, car, le pèlerin redescendant, l'A Bao A Qou roule et tombe jusqu'à la marche initiale, où, déjà éteint et semblable à une gravure aux vagues contours, il attend le prochain visiteur.
Il est seulement possible de le bien voir quand il arrive à la moitié de l'escalier, où les prolongements de son corps, qui tels de petits bras l'aident à monter, se définissent avec clarté. Certains disent qu'il regarde avec tout son corps et qu'au coucher il rappelle la peau de la pêche.
Au cours des siècles, l'A Bao A Qou est arrivé une seule fois à la perfection.
And the latest Citroën is called "Picasso."
Even so, I have the feeling that something is resisting, something original, that the origin will always be there, and that it resists. If you want to look out over the world's loveliest landscape, yen must climb to the top floor of the Tower of Victory in Chitor. There, standing on a circular terrace, one has a sweep of the whole horizon. A winding stairway leads up to the terrace, but only those people date to go up who don't believe the tale:
In the stairway of the Tower of Victory has lived since the beginning of time a being so sensitive to the shades of the human soul: the A Bao A Qu. It lives in a lethargic state on the first step, and only becomes consciously alive when someone climbs the stairs. The vibrations of the approaching person breathe life into it, and it is filled with an inner glow. At the same time, its body and almost translucent skin begin to stir.
When someone climbs the spiral stairs, the A Bao A Qu follows closely upon the visitor's heels and climbs along the outside of the steps which are worn down by the feet of generations of pilgrims. With each step its color becomes more intense, its shape more perfect and the light it gives off more brilliant. The proof of its sensitivity lies in the fact that it only achieves its ultimate form at the top step, and only when the person climbing is a spiritually evolved being. Otherwise, the A Bao A Qu remains, as if paralyzed, short of its goal, its body incomplete, its color undefined and its glow faltering. The A Bao A Qu suffers when it cannot tome to completion, and its moan is a barely audible sound, like the rustling of silk.
But when the man or woman bringing it back to life is totally pure, the A Bao A Qu can make it to the top step. Having achieved full form, it glows with a vivid blue light. But its return to life is very brief, for when the pilgrim descends, the A Bao A Qu rolls and tumbles back down to the first steps, where, already faded and looking like an engraving with vague contours, it awaits the next visitor.
He can't be seen clearly until it's halfway up the stairs, when the little tentacles that extend from its body, which it uses to climb, take on a clear definition. It is also laid that it can see with its entire body, and that at sunset it looks like the skin of a peach.
In the course of the centuries, the A Bao A Qu has only once achieved perfection.


(voice of Godard)
Le capitaine Burton rapporte la légende de l'A Bao A Qou dans une des notes de sa version des «Mille et Une Nuits ».
Et si nous avons jugé bon de terminer le film par ce texte, c'est qu'il en est l'illustration.
Sir Richard Burton recounts the legend of the A Bao A Qu in a note to his version of "A Thousand and One Nights".
We've decided to close with this text, because it illustrates the film perfectly.